L’édito de juin 2025
Une dynamique commune au service de la reproductibilité
Porté par l’Inserm, le programme LORIER vise à promouvoir une recherche éthique et responsable. Il aborde la question des pratiques scientifiques dans une perspective large, en incluant des enjeux comme l’intégrité, la transparence, la déontologie, le développement durable mais aussi la reproductibilité de la recherche. En effet, la reproductibilité est un élément clé d’une recherche éthique, rigoureuse et responsable. Elle permet aux connaissances produites d’être comprises, vérifiées, partagées et réutilisées de manière fiable par d’autres, dans une logique de transparence et de progrès collectif. Mais la reproductibilité ne se limite pas à cette exigence technique : elle est aussi essentielle pour que la science reste crédible et capable d’éclairer les décisions, qu’elles soient prises à l’échelle des politiques publiques ou dans le cadre de choix individuels, comme en médecine.
C’est pourquoi nous souhaitons mettre en lumière, dans cet édito, le Réseau Français de la Recherche Reproductible (RFRR). Ce collectif interdisciplinaire réunit aujourd’hui environ 330 membres aux profils variés, issus d’une vingtaine de disciplines scientifiques. Leur objectif commun est d’encourager et de faciliter la mise en œuvre de pratiques de recherche plus reproductibles et adaptées au contexte français.
Le RFRR ne travaille pas en vase clos. Il s’inscrit dans un mouvement international en pleine expansion, porté par des réseaux similaires à travers le monde. Au Royaume-Uni, le UK Reproducibility Network (UKRN) a vu le jour en 2018, à la suite d’une série de rencontres initiées dès 2015 entre chercheurs et organismes de financement préoccupés par la reproductibilité de la recherche biomédicale. Le réseau s’est rapidement développé. En 2021, le UKRN a obtenu un financement majeur de 4,5 millions de livres de Research England, assurant sa stabilité pour cinq ans. D’autres réseaux ont suivi, comme le German Reproducibility Network en Allemagne ou le SwissRN en Suisse. Tous partagent une ambition commune : aider à transformer durablement les pratiques de la recherche grâce à des actions concrètes, des outils adaptés aux réalités du terrain, et des relais engagés dans les institutions. Le RFRR, formellement créé en 2023, s’inscrit pleinement dans cette dynamique, avec une approche tournée vers les réalités du système de recherche français.
Le programme LORIER, quant à lui, s’adresse notamment aux personnels de l’Inserm, et se concentre sur la recherche en santé. Cette orientation en fait un terrain d’expérimentation idéal pour appliquer les principes de la recherche reproductible à un champ aux enjeux majeurs, tant sur le plan scientifique que sociétal.
C’est donc naturellement que LORIER et le RFRR lancent des actions communes. Parmi elles, une série de webinaires est organisée pour les ambassadrices et ambassadeurs de la reproductibilité et de la méta-recherche LORIER. Soutenue par les consortiums OSIRIS, SHARE-CTD et RestoRes, cette initiative vise à créer un espace d’échange, de formation et de sensibilisation. L’objectif : faire circuler les idées, partager des retours d’expérience, renforcer les compétences, et construire des ponts entre les communautés de recherche.
LORIER et le RFRR souhaitent ainsi contribuer à une culture scientifique plus exigeante, plus ouverte et plus responsable. La recherche reproductible n’est pas une fin en soi : c’est un outil essentiel pour renforcer la fiabilité de la science et nourrir la confiance dans ses résultats.
Florian Naudet : Institut de recherche en santé, environnement et travail (IRSET), Inserm, Université de Rennes et
Celine Acary Robert : Laboratoire Jean Kuntzann (LJK), INRIA, Université de Grenoble-Alpes
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Le prochain RDV LORIER
Jeudi 19 juin 2025
Une analyse rétrospective de 400 publications en sciences de la vie expérimentales
Bruno Lemaitre est Professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Spécialiste du système immunitaire des insectes, il s’intéresse également à la psychologie des personnalités et à la philosophie des sciences. Il est l’auteur de trois ouvrages : An Essay on Narcissism and Science (2016, en anglais), Les dimensions de l’ego (2019, en français) et Mickael Polanyi, le scientifique qui voulait réenchanter le monde (2022, en français). À l’occasion de son webinaire, Bruno vous présentera les résultats d’un projet de reproductibilité en science expérimentale :
La science progresse par l’agrégation continue des connaissances, les chercheurs s’appuyant progressivement sur les découvertes des autres. Ainsi, la fiabilité des publications scientifiques est essentielle pour maintenir la confiance au sein de la communauté et permettre aux nouvelles recherches de s’appuyer sur les travaux antérieurs. Or, cette confiance s’est érodée ces dernières années. Ainsi, 52 % des scientifiques interrogés par Nature estiment que nous faisons actuellement face à une véritable « crise » de la reproductibilité. L’irréplicabilité peut avoir de multiples causes : de la fraude pure et simple à la mauvaise utilisation d’outils techniques, en passant par des réactifs contaminés, des biais dans la communication des données, ou encore un manque de puissance statistique.
Des résultats trompeurs ou erronés peuvent sérieusement entraver le progrès scientifique, en gaspillant temps et ressources lorsque des chercheurs tentent de reproduire les conclusions d’un article publié. L’absence de reproductibilité dans des revues de premier plan engendre aussi un sentiment d’injustice, notamment parmi les chercheurs qui aspirent à une carrière scientifique intègre mais se heurtent aux obstacles d’un système biaisé.
Compte tenu du rôle croissant de la science dans la société contemporaine, il est crucial d’analyser l’impact de la reproductibilité sur l’entreprise scientifique, afin de mieux comprendre comment la science peut progresser malgré ses erreurs. Au cours de cette cet exposé, je présenterai les résultats d’une étude réplicabilité de 400 articles publiés dans le domaine de l’immunité de la drosophile. Cette étude nous a permis d’estimer le pourcentage d’affirmations non reproductibles et d’évaluer les impacts de ces affirmations.
Vous pouvez dès à présent soumettre vos questions à Bruno en les envoyant à lorier@inserm.fr
Le webinaire est ouvert à tous.
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Quoi de neuf ?
L’École d’été de l’Espace éthique Île-de-France est un rendez-vous annuel dédié à la réflexion collective sur les enjeux éthiques du soin et de l’accompagnement. L’édition 2025 se tiendra les 19 et 20 juin et portera sur la thématique de l’éthique au croisement du social, du sanitaire et du médico-social. À travers des formats variés – analyses de situations, théâtre forum, débats, apports théoriques et supports artistiques – ces journées visent, tel que le programme LORIER, à favoriser les échanges entre professionnels et à approfondir les questionnements éthiques liés aux pratiques de terrain.
Ioana Andreescu
Le Centre pour l’intégrité scientifique annonce le lancement d’une nouvelle initiative. Appelée le Medical Evidence Project , elle vise à développer des outils et des ressources pour identifier les publications scientifiques problématiques en médecine, mis à disposition sur un site web qui permettra aussi les signalements anonymes. Le projet et ses motivations sont présentés dans une actualité de l’édition du 4 juin de Nature.
Ghislaine Filliatreau
Rétractations d’article : quel impact sur la carrière des scientifiques ?
Une étude récente montre que les rétractations d’articles ont un impact disproportionné sur les chercheuses et les chercheurs en début de carrière, notamment lorsque la rétractation a fait l’objet d’une publicité importante. Cette étude suggère que si la rétractation d’un article est nécessaire, indiquer clairement les auteurs qui ne sont directement responsables des problèmes qui ont justifié la rétractation peut avoir un intérêt.
Catherine Coirault
Publication d’un rapport interministériel sur la transparence des essais cliniques
Un rapport qui alerte sur la nécessité d’agir pour une meilleure transparence des essais cliniques vient d’être publié par le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche avec celui de la Santé. Il montre que trop de résultats d’essais restent encore dans l’ombre, malgré les obligations légales. Ce manque de transparence mine la confiance du public et freine les progrès scientifiques.
Le rapport appelle à une action ferme, en phase avec la science ouverte et les règles européennes. Rendre publics tous les résultats, succès ou échecs, c’est lutter contre le gaspillage scientifique, renforcer la responsabilité des chercheurs, et valoriser chaque essai mené. Une exigence technique, mais surtout un devoir éthique.
COIs: des membres de LORIER sont impliqués dans le rapport
Florian Naudet
Une déclaration sur la défense des libertés académiques et de l’intégrité scientifique
Le consortium SPHERA (Single Planet Health and Environment Research Agenda) a rédigé une déclaration pour défendre l’indépendance et l’intégrité scientifiques. S’opposant à tout ce qui pourrait délibérément viser à déformer, supprimer ou manipuler les résultats scientifiques, la déclaration met en avant l’importance de l’ouverture de la science pour contrer la désinformation et la rhétorique antiscientifique. Le consortium s’engage aussi à prendre les mesures nécessaires pour contester les politiques qui portent atteinte à la liberté et à l’intégrité scientifique. Enfin, cette déclaration rappelle avec force qu’intégrité scientifique et responsabilité scientifique sont liées et qu’elles servent le bien commun.
Catherine Coirault