L’édito de novembre 2025
La liberté académique : une exigence éthique, un enjeu démocratique
La liberté académique n’est pas une option. Elle constitue l’un des fondements de la recherche scientifique, et, au-delà, un pilier de la démocratie. Sans elle, la science s’étiole, la pensée s’uniformise et la société se prive d’une de ses plus puissantes capacités critiques : celle de comprendre le monde pour mieux le transformer.
Cette affirmation du rôle central de la liberté académique dans nos sociétés a fait l’objet d’une tribune dans le journal Le Monde du 15 juin 2025, portée par le Comité d’éthique de l’Inserm et le CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé) et co-signée par vingt-quatre comités d’éthique institutionnels.
Aux États-Unis, un mouvement politique de grande ampleur s’attaque désormais ouvertement à l’université et à la recherche. Des coupes budgétaires brutales, des licenciements, des interdictions de financement, des suppressions d’accès à des données publiques et même la prohibition de termes comme « diversité », « égalité d’accès aux soins » ou « discrimination » dans les appels à projets bouleversent le paysage académique. Cette censure idéologique frappe au cœur même de la démarche scientifique : la liberté d’interroger les faits, de nommer les réalités, de confronter les hypothèses. En empêchant les chercheurs d’étudier les inégalités sociales, de genre, économiques ou environnementales, c’est toute la capacité de la science à éclairer notamment les grands défis sanitaires mondiaux qui se trouve compromise.
Les conséquences sont immédiates : fragilisation de la recherche sur les maladies chroniques et infectieuses, perte de confiance dans les institutions scientifiques, affaiblissement du lien entre science et société. Lorsque des chercheurs doivent autocensurer leurs hypothèses pour espérer un financement, ou renoncer à employer les concepts qui décrivent pourtant le réel, ce n’est pas seulement la créativité scientifique qui s’éteint : c’est la liberté de penser qui vacille.
L’UNESCO, dès 1997, rappelait que la liberté académique repose sur trois droits fondamentaux : la liberté d’enseignement, la liberté de recherche et la liberté d’expression. Ces droits sont inscrits dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 13) et protégés comme un droit constitutionnel en France. Ce ne sont pas des privilèges corporatistes. Ils sont les conditions de la rigueur, de la transparence et de la confiance qui fondent la valeur de la science dans la société démocratique.
En France, ces principes demeurent solides : les chercheurs jouissent d’une indépendance reconnue, d’un haut niveau de formation et d’une excellence internationalement saluée. Mais notre responsabilité collective est de ne pas considérer ces acquis comme éternels. Les atteintes à la liberté académique observées ailleurs sont un avertissement : nul système n’est à l’abri de la tentation du contrôle idéologique, qu’il s’exerce au nom d’intérêts politiques, économiques ou moraux.
C’est ici que les comités d’éthique de la recherche ont un rôle essentiel à jouer. Loin de se limiter à une fonction de régulation, ils constituent des espaces de réflexion, de dialogue et de veille sur les conditions concrètes de l’intégrité scientifique. Défendre la liberté académique, c’est garantir que la recherche puisse se développer selon les principes de rigueur, de transparence et d’indépendance qui fondent sa légitimité. C’est aussi rappeler que la science ne peut servir de caution idéologique ni être instrumentalisée pour justifier des exclusions ou des discriminations.
Dans le cadre du programme LORIER, formation à l’éthique et à l’intégrité scientifique de l’Inserm, cette exigence prend tout son sens. Apprendre à faire de la recherche intègre, c’est aussi apprendre à défendre les conditions qui la rendent possible : l’indépendance des hypothèses, la diversité des approches, le respect des faits et la responsabilité de la parole scientifique. La liberté académique est une éthique avant d’être un droit. Elle engage chaque scientifique à préserver l’autonomie de la pensée et la pluralité des savoirs. Elle engage les institutions à protéger ces conditions contre toute pression extérieure. Elle engage enfin la société à reconnaître la valeur irremplaçable d’une science libre, critique et ouverte.
Face aux vents contraires, la communauté scientifique doit parler d’une seule voix : défendre la liberté académique, c’est défendre la démocratie. Car sans liberté de recherche, il n’y a pas de science ; sans science libre, il n’y a pas de vérité partagée ; sans vérité partagée, la démocratie perd son cap. L’éthique devient dès lors une boussole indispensable.
Hervé Chneiweiss, Président du Comité d’éthique de l’Inserm
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Le prochain RDV LORIER
Mardi 18 novembre 2025, 11h00 à 12h00
Dépollution de la littérature scientifique : traque collective de la fake science
Guillaume Cabanac
Guillaume Cabanac est professeur d’informatique à l’Université de Toulouse et membre de l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT-CNRS). Il est titulaire d’une chaire de recherche fondamentale de l’Institut universitaire de France (IUF) intitulée « dépollution de la littérature scientifique ». Ses travaux visent à identifier des publications non fiables par fouille de textes, notamment au sein du projet ERC Synergy ‘Nanobubbles’ questionnant le processus d’auto-correction de la science. Sa recherche a été distinguée dans le palmarès “Nature’s 10” présentant « dix personnes qui ont contribué à façonner la science en 2021 » selon la revue Nature.
À l’occasion de son webinaire, Guillaume vous parlera du ‘fake’ qui n’épargne pas la science. En effet, des publications de maisons d’édition de référence comme Elsevier, Springer ou Wiley contiennent des expressions torturées, chimères dénuées de sens, telles qu’invulnerable framework, glucose bigotry et nucleic corrosive — au lieu d’immune system, glucose intolerance et nucleic acid. Les fraudeurs produisent ces articles non fiables ou les achètent à des paper mills. Cette conférence présentera comment des « détectives scientifiques » identifient les problèmes, les signalent, font rétracter des milliers d’articles et suivent les liens de citation pour freiner la propagation des erreurs grâce au Problematic Paper Screener : un site web public développé par Guillaume qui passe au peigne fin les 150 millions d’articles publiés à ce jour.
Vous pouvez dès à présent soumettre vos questions à Guillaume en les envoyant à lorier@inserm.fr
Le webinaire est ouvert à tous en vous inscrivant via le lien
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Quoi de neuf ?
L’excellence en recherche vue par le fonds national de financement luxembourgeois
The Luxembourg National Research Fund(FNR) du Luxembourg met chaque année à l’honneur une série de prix honorant « l’excellence en recherche » parmi lesquels un prix du mentorat.
La cérémonie qui s’est tenue cette année en présence de Stéphanie Obertin, ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur a distingué, par ce prix, le professeur Christos Koulovatianos, de la Faculté de droit, d’économie et de finance de l’université du Luxembourg.
Proposé pour ce prix par son équipe et ses étudiants, Christos Koulovatianos explique, dans une capsule de 3 min visible sur you tube comment il travaille. Il pense qu’il faut préserver un état d’esprit « slow science », qui permet à chacun de prendre le temps d’expliquer ce qui l’embarrasse ou ce qui n’a pas marché, à la fois pour se sentir soutenu par l’équipe et pour tirer parti au mieux de ce qui est le plus précieux en recherche : garder sa curiosité.
Ghislaine Filliatreau
La plus grande force de la science : douter d’elle-même
La méta-recherche, qui peut mettre en lumière le manque de reproductibilité ou d’ouverture de la science, montre aussi comment les pratiques scientifiques peuvent s’améliorer. Bien sûr, certains essaieront d’en tirer argument pour semer le doute sur la science elle-même. Dans un article récent, « Science becomes trustworthy by constantly questioning itself », Brian Nosek aborde ce paradoxe, et rappelle que la crédibilité de la science repose justement sur sa capacité à pratiquer l’ouverture, l’humilité, l’auto-critique et l’aptitude à se corriger. Ces caractéristiques, loin de mettre la science en défaut, représentent au contraire une forme de résilience qui fait de la science une des méthodes les plus solides pour produire des connaissances fiables.
Nosek nous le rappelle : la confiance dans la science ne se perd pas parce qu’elle identifie des problèmes, elle se gagne par sa volonté constante à les surmonter.
Florian Naudet
Une ressource australienne pour booster une culture de recherche éthique et responsable
Le National Health and Medical Research Council australien publie sur son site un guide pour promouvoir une recherche éthique et responsable. Adressée à tous les acteurs de la recherche, ce guide offre une documentation riche, des pistes réflexives et des propositions concrètes pour renforcer une culture de recherche institutionnelle ouverte et de qualité dans le domaine biomédical. Inspirant et à consulter sans modération pour toutes les lectrices et lecteurs de nos actualités !
Catherine Coirault
« Un nouvel espoir » : la trilogie SHARE-CTD se conclut par un épisode sur la réutilisation des données
Le réseau de doctorants SHARE-CTD a terminé sa « trilogie » sur le partage et la réutilisation des données d’essais cliniques. Après que Claude Pellen a exploré la philosophie du partage et que Ka Hin Tai a examiné la meilleure façon de préparer les jeux de données, le dernier chapitre, dirigé par Giulia Varvara, s’intéresse à la question de la réutilisation. L’article met en lumière le potentiel inexploité de la réutilisation des données d’essais, depuis la validation de résultats passés jusqu’à la réalisation de méta-analyses au niveau des patients. Pour guider les chercheurs, l’équipe présente les principes S.Y.M.B.I.O.N.T.S (absolument intraduisibles en français), qui constituent un cadre pratique visant à favoriser une réutilisation responsable, transparente et reproductible des données. Que la force soit avec vous lors de la lecture de ces trois articles !
Florian Naudet