L’auto-régulation de la recherche : comment être plus responsable ?
Depuis les années 2000, des scientifiques se mobilisent pour promouvoir une culture de recherche intègre et responsable au sein des équipes de recherche. Il s’agit notamment pour les personnels de recherche de mieux décrire les « bonnes pratiques » attendues dans le cadre de leurs activités professionnelles. Ces pratiques, encore insuffisamment formalisées incluent notamment l’exemplarité des pratiques de collaborations, d’autorat, d’utilisation des données, de publication, de diffusion et d’évaluation de la recherche, d’utilisation des financements et de gestion des conflits d’intérêts.
Expliquer les principes d’une recherche intègre et responsable est au cœur de textes de références élaborés par les scientifiques pour cadrer l’environnement et les pratiques au sein des laboratoires (par exemple : Charte nationale de déontologie des métiers de la recherche de 2015 et Code de conduite européen pour l’intégrité en recherche). Ces textes mettent en avant la responsabilité des institutions et organismes de recherche dans la formation et l’organisation de la recherche afin que les personnels réalisent leurs travaux dans le respect de ces exigences. Ce nécessaire soutien institutionnel est largement sollicité par les scientifiques qui veulent être à la fois plus responsables et plus libres. Mais cette institutionnalisation de la recherche responsable doit être en phase avec les pratiques de recherche au sein des laboratoires. Pour les personnels de recherche, la culture de recherche responsable implique une double exigence de responsabilité individuelle et collective : exigence d’une bonne connaissance et compréhension des normes et des standards disciplinaires régissant la recherche et réflexivité permettant l’intégration de ce système de normes, de pensées, de processus et d’actions dans l’activité scientifique concrète.
Ainsi, il revient aux personnels de recherche d’établir des standards de qualité, de repérer et corriger les dérives qui pourraient survenir au sein de leur environnement de recherche, et de maintenir ou d’instaurer un climat de confiance entre scientifiques et avec la société en général. Parce qu’il n’existe pas de prêt-à-l’emploi d’une culture de recherche responsable, il s’agit de construire individuellement et au sein des équipes des mécanismes de prévention, d’alerte et de régulation. Cela suppose des normes identifiées et une motivation pour les respecter. Il s’agit donc d’être en mesure d’analyser ses propres actions pour en tirer des leçons adéquates et de s’engager en conscience en faveur d’une auto-régulation individuelle et collective de la recherche. Cela suppose également d’être en mesure d’identifier les écarts entre les pratiques et les normes (Carver and Scheier, 1982). Et cela suppose finalement de comprendre qu’il ne s’agit pas d’entraver le dynamisme de l’activité de recherche quotidienne avec l’instauration de procédures supplémentaires, mais bien au contraire, de s’assurer de la qualité des résultats générés.
La formation à la recherche, le mentorat, la valorisation des pratiques les plus rigoureuses et la reconnaissance des contributions au sein des équipes de recherche sont autant d’outils précieux pour améliorer ses capacités d’évaluation, de réflexivité et favoriser une auto-régulation de la recherche. L’évaluation de la recherche par les pairs est l’exemple le plus évident de l’importance de l’auto-régulation en recherche. Sa qualité est renforcée par des initiatives visant à évaluer les projets sur des critères qualitatifs et non uniquement quantitatifs. Des déclarations comme la Déclaration de San Francisco (DORA) ou des initiatives telles que The Coalition for Advancing Research Assessment (CoARA) sur l’évaluation de la recherche contribuent à valoriser des critères tels que la reproductibilité des résultats, la transparence des méthodes de recherche et l’impact sociétal des recherches. L’évaluation des publications ou projets de recherche doit bénéficier d’une démarche qualitative similaire.
Mais en pratique, comment tendre vers cette autorégulation altruiste bénéfique à la fois pour la communauté scientifique et pour la société tout entière ? Le consortium européen SOPs4RI (Standard Operating Procedures for Research Integrity) a dressé une liste de points clés pour une pratique plus responsable de la recherche. Il en ressort l’importance capitale de l’environnement de travail et de la formation. Définir et communiquer les attentes et les normes au sein de l’équipe de recherche, promouvoir et récompenser les bonnes pratiques, participer ou initier des dialogues qui favorisent la communication ouverte et la diversité, apprendre et être dans une démarche d’amélioration continuelle, s’engager et travailler en équipe, montrer l’exemple, sont autant d’outils propices pour articuler climat de recherche responsable et auto-régulation de la recherche. L’enjeu n’est pas des moindres puisque le corollaire de ce principe de responsabilité est la liberté de la recherche, principe juridique dont la légitimité a été constitutionnellement reconnue.
Catherine Coirault