L’édito de mars 2025

Du bon usage des documents internationaux de référence : l’exemple de la Recommandation de 2017 de l’Unesco sur la science

 

L’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) vient d’ouvrir la deuxième édition de l’enquête de suivi sur la mise en œuvre de la « Recommandation sur la science et les [chercheurs] scientifiques » qu’elle a adoptée en 2017.

Les Recommandations font partie des « outils normatifs » de l’Unesco. Adoptées en Assemblée Générale, elles ont pour objet explicite « d’influencer le développement des législations et des pratiques nationales ». À ce titre, elles font l’objet d’un suivi régulier, accessible sur un site dédié.

De fait, la Recommandation de 2017 constitue l’un des rares textes internationaux de référence sur la science. Elle ambitionne de s’appuyer sur l’ensemble des principes fondamentaux qui fondent la science pour définir des dispositifs politiques que l’Unesco qualifie de transformants [1]. Par exemple, puisque la science est un bien commun qui doit être mis à la disposition et au service du plus grand nombre, cela suppose de mettre en place des politiques ambitieuses non seulement d’éducation et de diffusion des savoirs, mais aussi de mise en débat démocratique des connaissances nouvelles et de leurs usages. De même, la Recommandation rappelle que la façon dont les scientifiques sont formés et accompagnés va conditionner leur capacité à produire des connaissances solides et à les diffuser de façon efficace [2]. Ceci signifie que, pour travailler de la manière la plus éthique et la plus responsable possible, ils doivent bénéficier de la liberté académique et d’un environnement de travail qui le permet [3].

La Recommandation, qui compte 28 pages, est rédigée dans un style un peu dense, mais des documents synthétiques ont été mis à disposition, et son contenu a été organisé en 10 « thèmes essentiels », à la fois pour guider la définition opérationnelle des politiques préconisées et pour en faciliter le suivi.

Les 10 « thèmes essentiels » de la Recommandation :

  1. La science au service du développement durable : promouvoir la science en tant que moteur essentiel pour atteindre les objectifs de développement durable.
  2. La science en tant que bien commun : reconnaître la science comme un patrimoine collectif de l’humanité, accessible à tous.
  3. L’investissement dans la science et la technologie : encourager les États membres à consacrer des ressources suffisantes au développement scientifique et technologique.
  4. La promotion de l’éducation scientifique : renforcer l’enseignement des sciences à tous les niveaux pour susciter des vocations et améliorer la culture scientifique générale.
  5. L’éthique et l’intégrité dans la recherche scientifique : assurer que les activités scientifiques respectent des normes éthiques strictes et promeuvent l’intégrité.
  6. La liberté académique et la responsabilité des chercheurs : garantir aux chercheurs la liberté nécessaire pour mener leurs travaux tout en les rendant responsables de l’impact de leurs recherches sur la société.
  7. Les conditions de travail des chercheurs : améliorer les environnements professionnels des scientifiques pour favoriser l’innovation et la productivité.
  8. L’égalité des genres dans la science : promouvoir la participation équitable des femmes et des hommes dans toutes les disciplines scientifiques.
  9. La communication scientifique et l’engagement public : encourager la diffusion des connaissances scientifiques et l’implication du public dans les processus scientifiques.
  10. La coopération internationale en science : favoriser les collaborations transfrontalières pour relever les défis mondiaux grâce à la science.

Une première enquête sur l’application de la Recommandation a été menée en 2020 et 2021. Elle a donné lieu à un rapport de synthèse qui documente une situation en demi-teinte.

Il faut tout d’abord souligner qu’un assez petit nombre de pays (35) ont pu rendre leur copie. Des raisons techniques et pratiques expliquent en partie ce taux de réponse. Cependant, il est apparu que, dans beaucoup de cas, les informations quantitatives nécessaires pour documenter les actions menées n’existaient pas. Ainsi le rapport conclut-il que « l’un des enseignements les plus préoccupants de ce premier exercice de suivi est qu’il existe un besoin latent d’assistance pour la conception d’indicateurs simples permettant de mesurer spécifiquement l’application des règles et normes convenues ».

À noter également que, sans grande surprise, la question de la parité dans l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi scientifique est apparue comme un point faible préoccupant des systèmes et des politiques en place, sans même qu’une tendance globale à l’amélioration entre 2017 et 2020 ait pu être établie.

En positif, l’Unesco relève que tous les pays répondants ont déclaré que les règles et normes énoncées dans la Recommandation étaient « déjà inscrites dans le droit, les politiques et les pratiques en place au niveau national » – même si ces affirmations ne sont souvent que partiellement étayées. De même, certains thèmes apparaissent bien investis. Tout d’abord, celui des politiques gouvernementales mises en place pour la réalisation du Programme 2030 des Nations unies et ses objectifs de développement durable (ODD). De même, l’Unesco mentionne l’appui résolu des gouvernements à la science ouverte – laquelle fait d’ailleurs l’objet d’une Recommandation spécifique [4]. Enfin, un nombre significatif des pays répondants ont signalé qu’ils avaient créé de nouvelles institutions et adopté des mesures visant d’une part à renforcer l’éthique et l’intégrité scientifique de la recherche et d’autre part à clarifier les responsabilités des scientifiques, conformément aux orientations de la Recommandation.

En tout état de cause, la première enquête a permis de documenter la disparité des situations des pays au regard de la Recommandation, et la difficulté qu’ils ont rencontrée à traduire l’ambition des thèmes essentiels en politiques concrètes. Ceci alors même que l’évolution des conditions politiques, sociales et économiques de beaucoup d’entre eux n’y sont pas favorables.

Aussi, après avoir rappelé que la Recommandation est le seul instrument d’envergure internationale qui porte sur une vision politique complète du rôle que devrait jouer la science pour l’avenir de nos sociétés, l’Assemblée Générale appelle à poursuivre le développement des politiques préconisées par la Recommandation, et à se donner les moyens d’en suivre les effets.

On pourrait ajouter que des textes internationaux comme celui-ci, qui font encore le pari de questionner les valeurs de la science pour redéfinir un projet universel émancipateur, méritent probablement un peu plus d’attention – voire d’investissement concret – de notre part.

Ghislaine Filliatreau

 

[1] Il s’agit « d’établir un cadre général de normes et de règles, axées sur les droits de l’homme et le droit à la science pour les systèmes de recherche et d’innovation du monde entier », et « de mettre l’accent sur les voies à suivre pour mettre ces normes en pratique et en assurer le respect. »

[2] « La libre communication des résultats, des hypothèses et des opinions – comme le suggère l’expression « libertés académiques » – se trouve au cœur même du processus scientifique et constitue la garantie la plus solide de l’exactitude et de l’objectivité des résultats scientifiques.»

[3] « Les États membres devraient promouvoir des conditions permettant d’obtenir une production scientifique de qualité de manière responsable […]. À cette fin, les États membres devraient mettre en place les mécanismes et prendre toutes les mesures appropriées afin d’assurer le plein exercice, le respect, la protection et la promotion des droits et responsabilités des chercheurs scientifiques et des autres acteurs concernés par la présente Recommandation.»

[4] Recommandation de l’UNESCO sur une science ouverte (2021).

 

Mise à jour le 03/03/2025.
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